Avertissements

Les faits qui sont racontés ici le sont a posteriori et tout ne s'est peut-être pas exactement passé comme cela. La mémoire peut jouer des tours. Toujours est-il que c'est ainsi que les deux démographes ont vécu cette aventure.
Le récit est peut être long. Il a néanmoins le mérite de retranscrire les joies et les peines vécues au cours des 13 derniers mois.

1. Choix du sujet

18ème étage du centre Pierre Mendès France (aka Tolbiac la Rouge), un matin d'avant blocage. Le démographe maître de conférence Jean-Marie Le Goff
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de ses publications donne un cours d'analyse des biographies. Il s'agit d’approcher les logiques d'un événement (par exemple le risque de mourir, la probabilité d'entrer sur le marché de l'emploi ou de se marier...) en s'intéressant aux caractéristiques individuelles. Concrètement ? Qu'est ce qui, dans les caractéristiques individuelles, fait qu'un tel va avoir plus ou moins de risque de mourir/se marier/trouver un emploi...?

L'enseignant-chercheur parle d'une étudiante qui s'était intéressée à la durée de vie « à l'affiche » des films au cinéma. Pour se faire, elle avait construit sa propre base en collectant une quantité importante d'informations. RomanePour en apprendre plus sur
cette statisticienne amatrice de fromage, cliquez ici ! ne sait pas encore sur quoi elle va travailler, mais elle sait déjà ce qu'elle veut : mener un projet original de bout en bout en construisant sa propre base de données.

Dans le métro, elle ne peut s'empêcher d'y penser. Plutôt que de s'intéresser aux films pourquoi ne pas s'intéresser à ce qu'il y a dans les films ? Et pourquoi ne pas s'intéresser aux séries. Quelle série fait mourir assez de personnages pour que l'on s'y intéresse exclusivement ? Romane est frappée par un éclair. La mortalité dans Game of Thrones. Original, intéressant, ambitieux, riche en données... Le sujet idéal.

L'idée ne vient pas de nulle part, car son copain avait travaillé auparavant sur la prédiction de décès au sein de cet univers. Dans le cadre de son cursus, il devait programmer un algorithme de machine learning capable de calculer la probabilité de mourir de chaque personnage vivant, en fonction de la survie (ou non) des personnages partageant les mêmes caractéristiques que lui. Le travail portait alors sur une base disponible sur internet qui recensait quelques caractéristiques de 900 personnages des livres Game of Thrones. De son côté, elle imagine un travail portant sur la série et qui passerait par la création d’une base de données propre au show. Le chantier est énorme : il faudra regarder la série, créer la base qui devra contenir un maximum de variables et d'individus, analyser les données, rédiger des articles présentant méthodologie et résultats... Une semaine à penser la faisabilité de l'étude sans pouvoir en parler à Lucas. Elle a peur qu'il refuse.

2. Construction de la base

C'était sans compter son masochisme. Il est enthousiaste et, à la différence de Romane, il a vu la série ! Ils rédigent sur un bout de papier une liste de variables à renseigner : sexePour connaître les principales statistiques de cette variable : cliquez ici !, âgePour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !, statut matrimonialPour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !, culturePour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !, religionPour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !, résidence principalePour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !... Tout cela doit se trouver sur des fanbases. C'est Lucas qui se chargera de centraliser les différentes sources d'informations.

Minute d'apparition, minute de disparition, temps total de soumission au risque de mourir, nuditéPour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !, nombre de personnages tuésPour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !... Pour tout cela il faut voir la série. C'est Romane qui s'en chargera puisqu'elle ne l'a pas encore vue. Ça sera sa punition.

Chaque soir, Romane regarde entre deux et quatre épisodes en notant tout... Quel plaisir ! Heureusement, son copain l'aide. Depuis le temps qu'il la tannait pour regarder la série ensemble... Tous les matins, elle se lève à 7h pour saisir dans la base les données collectées la veille. De son côté, Lucas travaille plutôt le soir. Jusqu'à 23h, parfois minuit, il parcourt les wiki et fanbasesFandom par exemple ! afin de remplir au maximum les cases. Et lorsqu'ils ne trouvent pas de données existantes sur l'impopularitéPour connaître les principales statistiques
de cette variable : cliquez ici !, ils créent un sondage et le diffusent au maximum.

À la fac, chez eux, à l'alternance : ils ne parlent plus que de ça. Tout est un prétexte pour compléter la base. Les variables changent tous les quatre matins. Ils en ajoutent une, en suppriment une autre, ou changent la définition d'une énième... Lucas doute. Il a mauvais caractère et c'est Romane qui en fait les frais. Pour elle, la note ne sera peut être pas à la hauteur du temps investi mais il y a quelque chose de plus important : la fierté de rendre un dossier original. Il est assez d'accord avec ça. Alors ils courbent l'échine et s'y remettent.

Finalement la basePour une présentation de notre base, cliquez ici ! comporte 398 personnages. Le nombre de variablesPour une présentation des variables, cliquez ici ! se stabilise à une cinquantaine. Au sein de la promo, ils sont pour l’instant les seuls à créer leur propre base. Ils décident donc de « rentabiliser » cette base en la mobilisant dans d'autres projets.

3. Deux approches supplémentaires : l'analyse de données multi-dimensionnelles et l'analyse des cohortes

En analyses de données multi-dimensionnelles, les étudiants se familiarisent avec les régressions linéaires et logistiquesVous ne connaissez pas ces méthodes ou vous voulez en savoir plus ? Cliquez ici !. La base se prête bien à l'emploi de régressions.

Seul problème, Claire Scodellaro
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de ses publications, maître.sse de conférence en sociologie et en démographie a prévu de faire travailler la promotion sur les Sans Domicile Fixe. Allait-elle accepter de laisser travailler le binôme sur un sujet différent ? On va vous la faire courte : oui ! La difficulté ? Comme Jean-Marie Le Goff, elle n'a pas vu la série : il faudra donc rendre accessible les résultats à des lecteurs ignorant à peu près tout de Westeros. (Oui, vous vous demandez sans doute comment l'on peut vivre en 2018 sans avoir vu Game of Thrones. Ne leur jetez pas la pierre pour autant : sans eux, point de dossier. Ils ont répondu aux innombrables questions de Romane...).

Alors que Romane et Lucas travaillaient sur leur base en cours de suivi de cohorte, Jean-Paul Sanderson
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de ses publications les rabroue. Il est vrai que le binôme n'est pas très attentif à ce que dit l'historien et démographe. Il faudra Pourtant, rendre un dossier dans cette matière aussi... Mais les étudiants n'y pensent pas encore réellement. Ils discutent Game of Thrones et l'enseignant-chercheur s'en mêle. Il connaît bien la série qu'il apprécie.

Dans sa matière, il faudra comparer entre elles des cohortes soumises à un même événement démographique (une cohorte étant un « ensemble des personnes ayant vécu un événement démographique (naissance, mariage, naissance d’un premier enfant...) commun au cours d’une même période) ». C'est l'enseignant qui conseille aux deux étudiants de construire les cohortes de personnages en fonction du rang de l'épisode d'apparition au sein d'une saison. En gros, est-ce que les personnages apparaissant pour la première fois en début de saison meurent différemment des autres ?

Lors du nettoyage de la base, il a fallu s'assurer que les différentes modalités étaient bien orthographiées de la même façon. C'est chronophage, pas très stimulant intellectuellement, en bref ils s'en seraient bien passés. Il a surtout fallu que les deux étudiants fassent des regroupements de modalités. En effet, certaines caractéristiques ne sont portées que par un nombre très restreint de personnages. Dès lors, l'analyse statistique est impossible. Combien y a-t-il de nains dans Game of Thrones ? Trois (Romane et Lucas gloussent à l'idée que vous ayez oublié Frances
proba décès :
8% et Bobono
proba décès :
12%). Trop peu pour calculer des risques de mourir spécifiques aux nains. Il faut donc remplacer des modalités trop peu portées par d'autres plus englobantes.

Ils se rendent aussi compte que certaines caractéristiques numériques ne peuvent être laissées en l'état. Pourquoi ? Prenons l'exemple du nombre d'épisodes d'apparitionPour connaître les principales statistiques de cette variable : cliquez ici !. Romane vous dirait que « la variable n'a pas un effet linéaire sur la mortalité ». Lucas tenterait d'expliquer « si un personnage apparaît au cours de moins de 5 épisodes, sa probabilité de décéder est moyenne. Elle devient extrême si le personnage apparaît entre 5 et 20 fois. Elle diminue ensuite progressivement. Le risque de mourir augmente puis diminue en fonction du nombre d'épisodes d'apparition : ce n'est pas linéaire. ». Tout est plus clair avec des exemples. Il leur faut donc traiter ces variables : soit en créerant ce que l'on appelle des indicateurs (oui/non : par exemple, ici : le personnage est-t-il apparu dans plus de 30 épisodes ?) soit en créerant des classes cohérentes (voir par exemple la variable EPISODE qui correspond au nombre d'épisodes d'apparition en classe). Et croyez-les, ce ne sont pas des choix faciles et drôles à faire.

On vous laisse imaginer la détresse psychologique éprouvée par les deux jeunes chercheurs : ils ont passé 2 mois à créer une base qui se veut être la plus riche possible et celle-ci doit être considérablement appauvrie pour rendre possible l'analyse statistique...

Ils viennent à bout de cette étape en trois semaines. Ils ont été bien aidés par les blocages de la fac, certains cours ayant été supprimés faute de locaux disponibles. Lucas et Romane se réfugient alors dans l'appartement de cette dernière pour travailler (lorsque les plombiers n'y réparent pas une vilaine fuite d'eau). Cela fait trois mois qu'ils travaillent sur leurs dossiers (300 heures de travail déjà !) alors que leurs camarades de promo n'ont toujours pas choisi de sujet. Les autres Idupiens regardent les deux Andals un peu bizarrement : ils sont certainement fous à lier pour s'investir autant.

Les rendus approchent à grands pas. Il faut donc mettre à profit les compétences de chacun. Romane se charge de la méthodologie. Elle est alors la seule à vraiment comprendre comment fonctionnent les régressions logistiques et les modèles de durée non paramétriques. Rassurez-vous, la contribution de Lucas ne se limite pas à rendre obligatoire le Times New Roman taille 12 (« Il a un petit côté fasciste avec cette police » se dit Romane...). Romane explore la base et rédige les résultats. Lucas lit, ne comprend pas tout et réclame un effort de vulgarisation de la part du génie des statistiques, afin de comprendre enfin ce qu'il y a dans les dossiers. S'il l'a pu, vous le pouvez aussi !

Finalement tout se goupille bien et ils peuvent rendre leurs articles dans les temps.