Un monde violent
Tout le monde sait que Game of Thrones déploie un univers violent. Et ce n’est pas Viserys Targaryen, Ros ou Oberyn Martell qui diraient le contraire. Mais saviez-vous que Westeros est une contrée 38 fois plus violente que la Colombie ? Que plus de la moitié des personnages nommés décèdent ? En fait ça nous paraît normal. Après tout c’est le « Moyen-ÂgeAttention, ne nous énervez pas Lucas. On dit époque médiavale et non Moyen-Âge. Pourquoi ? Et bien parce que le vocable de Moyen-Âge a été créé par des personnes qui dénigrent cette époque ! Il la pense comme un « âge moyen » séparant l'antiquité et la renaissance. Entre les deux, un âge puant, barbare et violent (on caricature à peine leur pensée). » non ? Mais l’époque médiévale se limite-t-elle vraiment à cette violence ? Que de questions sans réponses. Vous en saurez certainement plus en lisant cet article : Game of Thones, un monde violent.
Plan de l'article
Une cohorte plus à l'abri ?
1. Un postulat hasardeux et répandu
2. Mettre à bas le préconçu grâce aux cohortes
3. Comparer la mortalité des cohortes
4. La mortalité des cohortes... toutes choses égales par ailleurs
Une cohorte plus à l'abri ?
« La nuit est sombre et pleine de terreur ». Melisandre
proba décès :
48% craint l’obscurité tout en versant dans l’obscurantisme. Si elle avait été moins mystique, elle se serait tournée vers la démographie « Étude des populations visant à connaître leur effectif, leur composition par âge, sexe, statut matrimonial, etc. et leur évolution future. »
Source : INED. qui lui aurait apporté un éclairage.
De nombreux auteursVous n'y croyez pas ? Cliquez pour aller dans la section « Pour aller plus loin » prétendent qu’aucun personnage n’est à l’abri de la mort. Les démographes que nous sommes veulent mettre à l’épreuve ce postulat hasardeux car non vérifié statistiquement ! Certes, vous avez été choqués par la mort de Ned
proba décès :
100% ou par celle de Robb
proba décès :
99%, deux personnages ô combien importants. Mais peut-on faire de deux exemples une généralité ? Non. Nous ne le répéterons jamais assez : les images sont trompeuses.
Nous vous proposons une hypothèse : les personnages principaux entrent tôt dans la série et sont moins susceptibles de mourir. Bah oui ! Faites mourir Daenerys
proba décès :
17%, Jon
proba décès :
2%, Arya
proba décès :
5% et Cersei
proba décès :
11% dès la première saison et demandez aux scénaristes de continuer la série... Ils vous enverront paître.
Mais comment définir nos cohortes ? Doit-on comparer les personnages de la saison 1 aux autres personnages ou doit-on comparer les personnages de chaque saison entre eux ? Pour faire ce choix, nous nous sommes appuyés sur les trois caractéristiques suivantes :
Nous calculons ensuite une moyenne par épisode d’apparition (Fig. 2).
Lecture : à l'épisode 5 de la saison 3, trois nouveaux personnages apparaissent : Olyvar Fig. 2 : Indicateurs moyens selon les entrées des personnages |
Lecture : Olyvar
proba décès :
63%, Shireen Barathéon
proba décès :
97% et Ver Gris
proba décès :
39% font tous les trois leur entrée dans la série à l’épisode 5 de la saison 3.
Ils apparaissent en moyenne dans 15 épisodes (respectivement dans 7, 10 et 28 épisodes), passent en moyenne 1min29sec à l’écran par épisode d’apparition (respectivement 1min8sec, 1min48sec et 1min32sec) et récoltent en moyenne 492 votes par épisode entre leur première et leur dernière apparition (respectivement 0, 680 et 803).
Remarque : Les neuf derniers épisodes de la série n'ont pas été étudiés afin que chaque personnage puisse vivre au moins dix épisodes.
Fig. 2 : Indicateurs moyens selon les entrées des personnages
Les personnages entrés lors du tout premier épisode de la série ont des indicateurs hors-normes. Rien d’étonnant quand on sait de qui on parle (Fig. 1 et 3) ! Ils apparaissent en moyenne dans 18 épisodes contre 7 pour les autres personnages. De véritables stars... En fait, l’importance des personnages est d’autant plus élevée qu’ils apparaissent tôt dans une saison. À l’inverse, un personnage apparaissant en fin de saison a plus de risque de passer inaperçu. Qui se rappelle de Boake
proba décès :
23%, Guymon
proba décès :
24%, Ghita
proba décès :
11% ou Cléa
proba décès :
8% ? Personne.
Au vu des résultats nous avons donc décidé de retenir les cohortes suivantes (Fig. 4) :
Maintenant que nous savons que les personnages qui apparaissent tôt dans les saisons sont effectivement plus importants, il convient de vérifier s’ils meurent moins.
58% des personnages apparus lors du tout premier épisode décèdent durant la série (certains pleurent encore les fesses de Robb) contre 51% de la cohorte 4. Les personnages plus importants survivraient donc moins ?
Tu-tu-tut, pas trop vite ! Nous l’avons vu, les personnages ne font pas leur entrée en même temps. Certains, pressés de devenir des vedettes, le font précocement. Tant pis pour eux, ils auront à survivre plus longtemps. D’autres se font désirer en entrant beaucoup plus tardivement dans la série. Ainsi, Euron Greyjoy
proba décès :
66% n’a eu à braver les dangers qu’au cours de 16 épisodes tandis que Daenerys Targaryen a dû survivre à 67 épisodes ! 4 fois plus d’épisodes, 4 fois plus de dangers.
Pour rendre comparable la mortalité de ces cohortes, il faut suivre les personnages durant un même nombre d’épisodes. Mettons dix épisodes en comptant leur épisode d’apparition (by the way, c'est parce que l'on étudie la mortalité au cours des dix premiers épisodes de vie que l'on exclut des cohortes les personnages qui apparaissent moins de dix épisodes avant la fin de la série : trop tard... Il fallait moins se faire désirer). Renversement de situation ! 35% des personnages de la cohorte 4 décèdent au cours de leurs dix premiers épisodes de vie contre seulement 27% des personnages de la cohorte 1 (Fig. 5).
Nous voilà rassurés, les chouchous meurent moins.
Mais notre base se prête aussi à la réalisation de modèles de durée non paramétriques (Fig. 6). On ne va pas vous expliquer ici comment ça fonctionne car on aimerait que vous alliez jusqu’au bout de l’article... Sachez simplement qu’après s’être battu avec la donnée et l’outil informatique, on obtient de belles courbes de survie. Comment les comprendre ? Imaginez qu’au commencement de la série vous ayez 1.000 personnages. Parmi ces 1.000 personnages, combien seront encore vivants après 5, 10 ou 50 heures dans l’univers impitoyable de Game of Thrones ? Et devinez ce qui est top ? On peut tracer la courbe des survivants pour chaque cohorte !
À tout moment, les survivants de la cohorte 4 (ceux qui sont entrés tardivement dans la série) sont moins nombreux que ceux de la cohorte 1 (nos stars). Ainsi, 50 heures après l’apparition des personnages de la cohorte 4, seulement 8% d’entre eux sont encore en vie contre 38% des personnages de la cohorte 1 ! Sur 50 heures, un personnage de la cohorte 1 peut espérer vivre en moyenne 30h20min contre seulement 17h45min pour un personnage de la cohorte 4 ! Nous venons de prouver que les stars meurent moins et moins vite que les personæ non gratæ de la cohorte 4 qui sont, elles, de la chair à canon ! La fin d’un mythe.
Mais comment expliquer que les personnages populaires et importants pour l’intrigue meurent moins que les autres ? La réponse est peut-être en partie dans la question... Puisqu’ils sont moteurs de l'intrigue et de l’action, les tuer reviendrait à mettre fin à la série.
De plus, les cohortes ne sont pas composées de la même façonCliquez ici pour en savoir plus !. Serait-il possible que ces différences de composition expliquent la plus ou moins forte mortalité des cohortes ? Prenons un exemple. Nous savons qu’un combattant a plus de risque de décéder qu’un personnage qui ne prend pas part au combat. Se pourrait-il que la cohorte 1 soit une cohorte moins combattante et que cela explique sa moindre mortalité ? Pour le savoir, nous utilisons des régressions logistiques (Fig. 7). Celles-ci permettent de faire comme si les cohortes partageaient les mêmes caractéristiques.
Modèle 2 : nous ajoutons les caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, handicap, pratiques sexuelles, richesse et allégeance). Nous faisons alors comme si les cohortes partageaient les mêmes caractéristiques socio-démographiques. La cohorte 4 meurt toujours trois fois plus que la cohorte 1.
Mais c’est bien la centralité des personnages dans l’intrigue qui distingue radicalement les cohortes 1 et 4.
Modèle 3 : nous tentons donc de faire comme si les personnages de la cohorte 4 étaient aussi populaires et importants que ceux de la cohorte 1 en ajoutant deux variables au modèle (popularité des personnages et temps à l’écran). Les personnages ayant obtenu des votes de popularité ont beaucoup moins de risque de décéder qu’un personnage n’ayant pas obtenu de vote. Un personnage éclair a trois fois plus de risque de mourir qu’un autre personnage apparaissant plus longtemps. Il est donc logique que ce contrôle supplémentaire contribue à faire baisser la surmortalité de la cohorte 4 (elle ne meurt plus que deux fois plus !). De plus, le résultat est beaucoup moins significatif : nous avons 2% de risque de nous tromper contre 0,01% auparavant !
Nous avons donc montré que les personnages de la cohorte 1 semblent mourir moins et moins vite que les personnages de la cohorte 4.
Toutefois, cela peut en partie s’expliquer par la popularité des personnages et par leur centralité. Au vu des résultats, nous pouvons penser que si les scénaristes accordaient un jour une grande importance à Ghita, celle-ci deviendrait aussi résistante que Jon Snow. Un membre de la cohorte 1 n'est en effet pas plus résistant parce qu'il est apparu tôt, mais bien parce qu'apparaître tôt rend important.
Les résultats de notre étude démontent la réputation d’une série qui se dit prête à tuer ses personnages centraux. Mais attention : ce qui est vrai jusqu’à présent ne le restera peut-être pas. Les réalisateurs ont prévenu qu’il y aurait des pertes majeures dans l’ultime saison : ils peuvent se le permettre puisqu’il n’y aura pas de suite !
La notion de cohorte dans l'univers de la démographie.
Clignet, R. (1983). « L'influence du concept de cohorte sur la démographie des pays en voie de développement. Le cas du Cameroun de l'Ouest ». In : Population, vol. 38(4), 707-732. doi:10.3917/popu.p1983.38n4-5.0732. [En ligne] : https://www.cairn.info/revue-population-1983-4-page-707.htm [Consulté le 25 novembre 2018]
Pirus, C. et Leridon, H. (2010). « Les grandes cohortes d'enfants dans le monde ». In : Population, vol. 65(4), 671-730. doi:10.3917/popu.1004.0671. [En ligne] : https://www.cairn.info/revue-population-2010-4-page-671.htm [Consulté le 25 novembre 2018]
Pour plus de mortalité à propos de Game of Thrones
Cesbron, M. (2016). « Pourquoi Game of Thrones est un cas clinique ». In : Le Point Pop. [En ligne] : http://www.lepoint.fr/pop-culture/series/pourquoi-game-of-thrones-est-un-cas-clinique-17-05-2016-2039830_2957.php [Consulté le 6 avril 2018]
Chapon, B. (2014). « Comment « Game of Thrones » est devenu le phénomène pop des années 2010 ». In : 20 minutes. [En ligne] https://www.20minutes.fr/television/1342261-20140403-comment-game-of-thrones-devenu-phenomene-pop-annees-2010 [Consulté le 11 avril 2018]
Langlais, P. (2017). « “Game of Thrones”, le succès en dix leçons ». In : Télérama. [En ligne] : http://www.telerama.fr/series-tv/game-of-thrones-le-succes-en-dix-lecons,160044.php [Consulté le 6 avril 2018]
Marzolf, H. et Mury, C. (2010). « “Game of thrones”, la série souveraine ». In : Télérama. [En ligne] http://www.telerama.fr/television/game-of-thrones-serie-souveraine,102962.php [Consulté le 11 mai 2018]