Plan de l'article
GoT : des corps « masculins et normaux » ?
1. Fantaisie médiévale et discrimination genrée
4. Dénigrement de la corpulence
GoT : des corps « masculins et normaux » ?
Vous allez dire que nous commençons toujours nos articles de la même façon mais... Les scénaristes cherchent à plaire ou à bousculer. Les séries disent donc quelque chose de la société et de ses attentes. Or, les corps sont omniprésents dans Game of Thrones. Mais que nous montre-t-on vraiment ? Seule la statistique peut permettre de nous affranchir des images choquantes ou émoustillantes.
La série met en scène un « Moyen-ÂgeAttention, ne nous énervez pas Lucas. On dit époque médiévale et non Moyen-Âge. Pourquoi ? Et bien parce que le vocable de Moyen-Âge a été créé par des personnes qui dénigrent cette époque ! Il la pense comme un « âge moyen » séparant l'antiquité et la renaissance. Entre les deux, un âge puant, barbare et violent (on caricature à peine leur pensée). » fantasmé, aucours duquel il n’était « pas approprié pour une femme d’aller au combat ou de gouverner » [SourceJ. de Cessoles, (XIVème s.) « Jeu des échecs moralisés ».].
Quoi de plus normal donc à ce que l’univers de la série qui montre combats et jeux de pouvoir soit masculin ? Les personnages masculins sont 3 fois plus nombreux ! Ils ont 5 fois plus de chance de combattre et 2 fois plus d’exercer un rôle politique. Quand on sait qu’il s’agit de facteurs de mortalité, on relativise la chance... Une « femme politique » sur quatre ne l’est que grâce au mariage (dans la saison 1, Cersei
proba décès :
11%, Daenerys
proba décès :
17% et Catelyn Stark
proba décès :
91% sont des « femmes de »). Ce n’est le cas d'aucun personnage masculin même si Jorah
proba décès :
1% ferait tout pour sa Dany.
Les personnages féminins sont donc moins visibles. De plus, alors que le corps masculin sert à imposer une domination, celui des personnages féminins la subit (on parle de la norme statistique hein, pas des quelques héroïnes qui sont des exceptions !).
Les personnages féminins occupent ainsi un rang social moins élevé (Fig. 2). Le corps féminin se possède dans Game of Thrones puisqu’un personnage féminin sur quatre est assujetti (servantes de seigneurs, prostituées travaillant pour ou détenues par des tenanciers, esclaves de maîtres...) contre 2% des personnages masculins. On parle d’objetisation.
Enfin, les personnages féminins subissent bien souvent des violences sexuelles.
Après visionnage de la série, nous avons fait l’hypothèse que le corps et les pratiques qui l'entourent influencent la probabilité de mourir (combattre fait mourir, alors pourquoi pas d’autres pratiques ou comportements ?). Rapide présentation des constats qualitatifs et des éléments statistiques :
Les femmes sont aussi des objets de désir (Fig. 1). La moitié des personnages féminins ont moins de 25,5 ans contre 32,5 ans pour leurs homologues masculins. Plus jeunes, on montre aussi plus leur corps : 26% des actrices apparaissent nues au moins une fois (11% seulement des acteurs, mais la perfection des fesses de Jon Snow
proba décès :
2% compense ... [2]Mymy, (2017) « Le bouli de Jon Snow est 100% authentique, car le monde est beau ». In : Madmoizelle.) - Fig. 3.
Les femmes sont les victimes exclusives des violences sexuelles (quasi exclusive : Théon
proba décès :
18%). Le récit fait par Cersei de sa nuit de noce avec Robert
proba décès :
99% défait le mythe du libérateur de Westeros. Le viol de Jaime
proba décès :
1% sur sa sœur, dans un sanctuaire et sur le cadavre de leur fils (et neveu) met à bas toute morale. Le viol de Daenerys lors de sa nuit de noce révèle la trahison de son frère qui l’a vendue (Drogo
proba décès :
98% tentera ensuite de se racheter une conduite). Le viol de Sansa Stark
proba décès :
12% par Ramsay
proba décès :
96% est un acte de guerre envers les Stark. Il ne fait donc pas bon être une femme à Westeros.
Les personnages ayant des pratiques sexuelles considérées dans la série comme déviantes (attention : ce n’est pas nous qui les qualifions de déviantes ! Même si on les déteste c’est normatif et pas très constructif) semblent avoir une espérance de vie réduite. Certes, ces pratiques sont sévèrement réprimées (Fig. 4) mais peut-être qu’une morale serait contre toute attente à l’œuvre ? De fait, par rapport à un personnage à la sexualité considérée comme « normale », un personnage ayant des pratiques considérées comme déviantes a 3 fois plus de risque de décéder (Fig. 7). Notons aussi que les personnages ayant une déviance sexuelle sont 4 fois plus impopulaires (cliquez ici pour voir les liens entre les variables).
La série Game of Thrones discriminerait-elle les personnages corpulents ? Une chose est certaine, nous n’aimerions pas avoir le courage de Samwell Tarly (avant que son rôle évolue), la vivacité intellectuelle de Mace Tyrell
proba décès :
92%, l’intégrité de Xaro Xhoan Daxos
proba décès :
93% ou les mœurs de Rast
proba décès :
97%… Robert Barathéon qui est pourtant supposé être le valeureux combattant qui a libéré Westeros de la tyrannie du Roi fou est présenté comme un ivrogne impotent et colérique (Fig. 5). Avec un risque de 7%, nous pouvons affirmer qu’un personnage à la corpulence supérieure à la moyenne meurt plus qu’un personnage à la corpulence moyenne. Il aurait même 2 fois plus de risque de décéder qu'un personnage à la corpulence normale.
La série est pleine de personnages portant des handicaps visibles (Fig. 6). Ces personnages qui s’éloignent de l’ « Andale normal » s’exposent largement à la stigmatisation. Le portrait semble noir mais le stigmate, trace visible du handicap, peut aussi être une force ! Comme la canne du vieillard qui peut frapper le garnement qui ricane. La marque du handicap ne condamne pas les individus à subir leur condition mais rend possible l’émancipation. Si l’on accepte un risque de 6%, nous pouvons dire qu’un personnage handicapé (hors bâtard) a moins de risque de décéder : il aurait même 3 fois moins de risque de mourir qu’un personnage non-handicapé.
Nous avons donc montré qu’en matière de corps, Game of Thrones voue un culte à la masculinité et à la supposée normalité (pourquoi supposée ? des corps glabres et maigres, vous trouvez ça normal ?). Les personnages féminins sont régulièrement assujettis et n’accèdent pas aux plus hautes fonctions (oui, on sait : Cersei et Daenerys bla-bla-bla... Mais elles ne représentent que 2% des personnages féminins !). Ceux qui s’écartent de la supposée norme s’exposent à une mort plus rapide et plus fréquente (avis aux corpulents et supposés déviants). Mais gare au retournement du stigmate ! Daenerys Targaryen et Cersei Lannister arriveront-elles à changer les règles d’un monde fait par et pour les hommes ?
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